09 mars 2010

Une vie de palais

(Plaque de l'office de N.Gorwadkar avocat à Nashik)

Il a fallu que le hasard (ou un ami qui voulait me garder près de lui, ce qui revient au même…) me conduise à la fois vers la plus désorganisée des facultés de droit du Maharashtra, et le plus talentueux des avocats du district voire de l’Inde, mon maître de stage : Nagnath Gorwadkar, pour que je découvre que la justice peut être autre chose que des chaussures noires bien cirées, l'arrogance des juristes, une ambiance morbide dans des couloirs désertés et des cabinets d’instruction où l’on chuchote le droit.


Ici, la justice n’a pas le temps et les moyens de l’apparence, elle se donne à voir (même lorsqu'elle ne dispose pas de l'électricité), sans se donner en spectacle. Elle ne fait pas son show, et laisse peu de place à l’ego des juges ou des avocats, mais elle joue une partition merveilleuse sur les cordes tendues de la vie.


Le palais de justice comme la maison des avocats (le lieu où se regroupent au sein du palais de justice les offices privés des avocats), grouillent d’enfants. Les familles déjeunent parfois sur place, sur la terrasse ensoleillée, hommes femmes et enfants assis en tailleur avec les juristes qui ne se distinguent que par leur habit noir et blanc. Les mêmes préfèrent d'ailleurs souvent, au calme relatif de la terrasse, la rue bruyante devant le mur du palais où s'alignent les vendeurs. Aux repas froid de la veille, les carrés de pastèque glacée, les samosas pimentés, les vanapaos brulants, les butter masala Dosa, ou les pani puri craquants.

Les accusés attendent leur tour en parlant avec leurs parents qui se tiennent sur le côté la tête levée en bout de course. Naturellement parfois ils crachent entre les grilles du fourgon de police de longs crachats rouges au bout rond comme la tête des comètes. Les avocats en bras de chemise, devant le portail du palais, dégustent sur le pouce un vanapao chaud ou avalent rapidement un jus d'ananas glacé. Les huissiers crient à voix haute les noms des parties appelées à l'audience. La foule est permanente dans l'immense cour du palais, on dirait qu'elle tient conseil.


La faculté de droit n’est pas en reste avec ces enfants qui jouent et chantonnent parfois au milieu du cours de Company Law ou de law of contracts de Master II. Ils font rouler, comme sur un tambour les notes par des baguettes virtuoses, les gouttes des bouteilles d'eau sur la fine pointe des pailles, entre agreement et acceptance, ou Shareholders et meetings.

L’office de N. Gorwadkar est lui aussi un entrelacement permanent d’histoires et de mouvements. L'homme est courtoie et gentil mais d'une efficacité redoutable. C'est le maître de la procédure civile et administrative. Avocat des riches et des pauvres, des intellectuels et des ignorants, des dignitaires religieux et des athés (il y en a peu...). Il y a souvent tellement de monde dans ce cabinet, que l'équipe des juniors patiente dans le couloir où il fait, c'est vrai, nettement moins chaud. Entre les deux petites salles du cabinet privé et le couloir du premier étage de la maison des avocats, chacun entre et sort avec un peu ou beaucoup de l’histoire des autres en partageant aussi le thé du palais, les Pans incroyables de l’hôtel Chan, ou le charme discret des juniors (les jeunes avocat(e)s du cabinet). Seul le secrétaire qui répond seulement par un hochement de tête à la fois aux sollicitations spontanées des clients, à celles des avocats voisins ou hébergés, reste quasi immobile et silencieux par un pouvoir dont la compréhension m’échappe encore. A part lui donc, tout le monde parle à tout le monde, de tout le monde, du présent et du futur, du temps qu’il fait bien sûr, de l’astrologie, de moi, de soulas Wine, de l’article du journal, de mon appartement à Mumbai Naka, du festival à venir, du festival passé, du droit, des religions, de la rivière Godavari et de bien d’autres choses encore. Lorsque Nagnath et moi (qui ne le quitte pratiquement jamais de 11h à 19 h), quittons l'office pour nous rendre à une audience, il reste autant de personnes dans le cabinet que lorsqu’il y est. Son départ et son retour ne provoquent pas le moindre mouvement des clients habituels ou nouveaux, sinon pour lui laisser reprendre sa place parfois occupée provisoirement et indifféremment par un avocat ami, un junior, ou un client.


N. Gorwadkar n'est pas le seul à me surprendre. La semaine dernière, les magistrats débutants et les grands juges du district (les présidents de cour d'appel) m’ont accueilli tous ensemble au cours d’une réception spéciale organisée en mon honneur, les avocats membres du prestigieux Bar councel association me font asseoir à leur côté au cours de leurs réunions dans cette salle au goût anglais et aux senteurs de bois vieilli, sous les portraits dominants de Gandhi et de Nerhu. Les avocats des parties adverses font l’effort de parler en anglais pour que je comprenne ce qui d’ordinaire se traite en marathi. Ici pas d’esprit de supériorité. Après une audience de cross-examination (contre interrogatoire) le magistrat s'adressant à moi d'une voix joviale, entrainant vers moi un éclatant intérêt du public et des avocats présents, m'a demandé de lui poser toutes les questions que je désirais sur le fonctionnement de la justice indienne et de cette audience en particulier…

Il ne faudrait pas imaginer qu’ils sont dans la position d’avoir à apprendre quelque chose de moi, ce sont de grands juges, de grands procureurs, de grands avocats pour certains devant la Haute Cour de l’Etat, mais l’Inde a ceci de remarquable qu’elle instruit d’abord et dès les bancs de la fac et de l’école que la vie au Palais ou ailleurs est avant tout et simplement la vie. Et dans le Maharashtra qui selon moi est le plus incroyable des Etats et particulièrement à Nashik, à part les conducteurs de ricksaw, tout le monde sait que sourire à l’autre c’est bien !

1 Comments:

At 9:09 PM, Blogger Elisabeth Pereira said...

J'aime ça! ^^

 

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