29 janvier 2010

l'aveugle mobile


Pour monter dans un bus indien faut-il avoir un bon mobile afin de prendre un tel risque? Un jeune aveugle indien apprit à ses dépens qu’il fallait au moins prendre des précautions élémentaires pour s’assurer d’en avoir toujours un.

Cet après-midi, à l’heure où le bus en direction de Nashik railways station, arrive à l’importante station de Shalimar où l’attend une foule nombreuse composée en grande partie d’étudiants et d’élèves qui rentrent chez eux, il est déjà complet.

Ce bus de 40 places assises et à peine 20 debout contenait déjà plus de 150 personnes et il y en avait autant qui désiraient y monter. Ce qui explique que le chauffeur hésita avant de s’arrêter pour laisser descendre ceux qui désiraient le faire. Il s’arrêta néanmoins le temps de constater que personne ne voulait descendre il tenta de repartir aussitôt, mais déjà, alors que la machine souffrait à repartir, il fut pris d’assaut par la foule. Consigne fut donnée de monter par l’arrière. La foule forçait et par vagues successives des groupes de 5 ou 6 personnes s’engouffraient péniblement dans le monstre rouge vieilli et poussif. Le châssis pliait sous la charge misérable, visiblement à la limite du point de rupture qui reculait par ce miracle permanent qui ne s'explique pas.

Le chauffeur hurlait « stop, descendez ! » lui qui comme tous les autres conducteurs d’habitude comme aveugles muets et sourds se contentaient de passer les vitesses en roulant à tombeau ouvert, s’arrêtant comme et quand bon leur semblait, avait-il conscience que la bête mécanique souffrait vraiment cette fois-ci ? Il sautait sur son siège par petits bonds et prononçait en Marathi de longues phrases interminables. La foule continuait de presser, elle s’emblait n’avoir ni début ni fin. Elle avait fini par forcer l’entrée par l’avant et moi, entraînée par elle dans ce piège, j’étais coincé dans son ventre.


Le monstre nous avait avalé presque tous, et soudainement, en silence, il vomissait un à un quelques malheureux surnuméraires. Le contrôleur bloqué quelque part sur un siège, lui d’habitude si prompt a exiger le paiement aux nouveaux arrivants, reprenait des forces. Est-ce le signe de la complicité et de la confiance qu’ils entretiennent depuis de longues années ? La machine, à la demande du chauffeur, lentement certes mais certainement, agrippait enfin ses pneus à l’asphalte en prenant de la vitesse.

Il leur arrive fréquemment de ne pas s’arrêter aux arrêts prévus parce qu’ils n’en ont pas envie, malgré les suppliques de la cloche, mais cette fois tout le monde accepta qu’aux deux arrêts suivants pourtant demandés, le chauffeur ne s’arrêta point. Au troisième, Il ralentit (un bus indien ne s’arrête vraiment que rarement. Il faut souvent monter et descendre en courant. Il est conseillé aux personnes âgées de prendre plutôt un rickshaw), et quelques valeureux en descendirent en courant dans le sens de la marche.

C’est à cet arrêt que le jeune aveugle couru pour prendre son bus. Il toucha la barre extérieure faite à cet effet, s’y agrippa et avec l’aide de quelques passagers réussit à y monter. Le bus roulait déjà à toute allure lorsque le jeune homme se rendit compte que dans sa course il avait perdu son portable. Il actionna le fil qui sert à avertir le chauffeur d’un ralentissement à venir pour une probable descente. La clochette retentit mille fois, les points d'arrêts se succédaient à vive allure, la foule criait « stop mobile, mobile, il a perdu son mobile ». Le tout en Marathi bien sûr. Chacun à tour de rôle donnait des coups secs sur ce fil qui parcourt le bus d’avant en arrière et qui se termine accroché à une clochette que l’on fait sonner pour prévenir d’un prochain ralentissement souhaité.

Le monstre hurlait sur l’asphalte, se cabrait, sautait les obstacles sans intention de s'arrêter. Son pilote redevenu aveugle sourd et muet conduisait l’engin dans un bruit de tonner.


La machine et son maître se vengeaient sans raison sur ce jeune sans mobile apparent.