28 mars 2010

Réincarnation ! (poésie)


De grosses larmes coulaient sur ses joues fines et belles qu’elle ne pouvait retenir. Elles glissaient lentement jusqu’à son sari d’un bleu céleste. Elles portaient chacune d’elles des lettres de cristal d’une langue universelle que je pouvais lire. Je lisais l'indiscible, je lisais !


Elle était belle et nous étions seuls pour quelques secondes dans la salle d’attente de l’office ce vendredi soir. Je la regardais sans broncher. Pleure mon cœur, mais que mes yeux soient forts !


Je savais qu’il n’y avait rien à faire d’autre que de la regarder. Nous avions quelques jours plus tôt échangé quelques mots à ce sujet. Je savais qu’elle partirait subitement. C’était maintenant !


Je la regardais fixement. Je lisais tout ce qu'elle me donnait à lire : ses yeux, le tremblement incontrôlable de ses paupières, ses larmes étincellantes sous la lumière du soleil qui abandonnait par la fenêtre du greffier ses derniers rayons opales, son petit corps enveloppé dans ce linceul bleu. Je lisais son regard, son inexpugnable souffrance, je lisais, je lisais !


Que peut bien valoir en 2010, l’avis d’une jeune indienne, fusse-t-elle une brillante avocate, si elle est issue d’une famille pauvre ? Toute sa vie ne dépend que de ce que d’autres veulent bien qu’elle soit. Et que vaut une vie, quand on est censé en avoir plusieurs ?


Elle n’avait pas le choix, elle devait quitter ce grand cabinet où j’étais, pour rejoindre sa tante dont le cabinet ne représentait rien. La situation financière de ses parents en dépendait, et une partie de l’argent qu’ils recevaient de la tante devait servir à payer la dot de son mariage avec celui dont elle ne savait encore rien, mais pour lequel elle devait sacrifier sa carrière professionnelle. Elle serait payée de misère, c’était ainsi ! La loi interdit pourtant strictement la pratique de la dot.


Les derniers mots étaient échangés dans le bureau d’à côté entre la tante et son employeur, mon ami, auprès duquel j’avais tenté vainement deux jours plus tôt d’intervenir pour lui faire comprendre la monstruosité de la situation. Il m’avait clairement expliqué le contexte culturel et j’avais accepté de comprendre à mon tour qu’il ne pouvait rien. J’avais accepté, comme on accepte souvent, l'inacceptable. J'avais accepté !

- Donne-moi ton numéro de téléphone lui ai-je dis soudainement. Nous n’avions pas le temps de plus de mots.


Elle me l’arracha des mains littéralement et enregistra elle-même son nom et son numéro.

Son entretien terminé, dans l’entrebâillement de la porte, la tante fixait ce téléphone comme un aigle une proie qui lui échappe. Puis, elle me regarda avec une sorte de mépris qui me rendit fier.


N.. me tendit le téléphone en regardant le sien comme pour m’inviter à l’appeler…


Le souffle d’air chaud qui accompagnait la tante triomphante lui indiquait la sortie. Mais elle restait immobile cherchant des forces. Sa jambe droite tremblait. Elle baissa la tête comme pour oublier ses rêves et son passé, comme pour s’excuser d’avoir été là.


Il y avait tant de choses à dire et nous ne disions rien. Alors elle partit, la tête toujours baissée!


Je la regardais s’éloigner dans le couloir. Elle marchait comme Jacob frappé à la hanche par l’ange de Dieu ! Petite silhouette fragile glissant furtivement entre les ombres molles des avocats à la cour. Elle mettait chaque pas dans les pas de sa tante.

De toute la force de mon âme, avant que le prochain jour ne se lève, du haut de ma condition humaine, c’est moi qui te bénis N… ! Que tes filles un jour te disent NON ! Et brisent, contre toi-même, la chaîne de leur pauvreté.


Trois jours plus tôt, je l’avais croisée dans les couloirs du tribunal. Elle pleurait seule comme aujourd’hui. Je lui avais posé la main sur l’épaule, caressé légèrement le bras et l’avais laissée seule. Ce même jour, elle avait suppliée de larmes intarissables, qu’on la garde, qu’on la protège de ce sort, de ce futur qu’elle ne pouvait refuser seule. Il a essayé, mon ami. Il a proposé de diviser la journée entre les deux offices par exemple. Puis, il s’est incliné, pragmatique.


Je n’ai pas osé l’appeler jusqu’à ce jour. Je ne sais pas quoi lui dire d’efficace, de vrai, et je ne peux rien pour elle moi seul.


Tu es seule N… !


Tu n’as pas eu le temps de devenir mon amie. Adieu peut-être…

Note : Ceci n'est que de la poésie, parfaitement imaginaire...

2 Comments:

At 10:07 AM, Anonymous Anonyme said...

C'est de l'imagination réelle, ou de la réalité imaginaire?
Quoi qu'il en soit... j'admire tes écrits

 
At 12:27 PM, Blogger Joël YOYOTTE-LANDRY said...

Peut-être de l'imagination imaginaire :)), mais ce qui compte c'est ce que l'on ressent, alors merci !

 

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