Danse avec les mots (poésie)
Ah quel jour !
Ce matin il me vint de penser à toi comme il vient au volcan le souffle de la terre : Irrésistiblement !
Cette forge, du temps ouvrant une articulation forcée, j’entrepris de faire croître démesurément la pause, et demandai l’aide des mots pour te composer un poème.
Je les ai convoqué ce jour de pluie, certain qu’en ce temps, ils ne pouvaient avoir envie de danser sur la feuille blanche et de conter tout à leur guise.
Je voulais te parler des monts chauves, des narcisses embaumant les prés, des cours d'eau opalescents qui glissent dès l’aube en silence et que regardent passer les biches.
Je voulais te parler des titanesques blocs de granit, qui protègent les fleurs des genêts, fièrement portés par leurs pieds enfoncés dans la silice, au flanc de collines jumelles.
Des Marasmes des Oréades qui poussent en ronds de sorcières que ramassent les enfants.
De l'odeur sucrée des cèpes qui court à travers le petit matin sous les arbres de haute futaie
J'ai préparé la page vierge et le stylo à l'encre bleue, que j'ai posés sur mon bureau.
J'ai collé mon front aux vitres pour m'inspirer des paysages qui découpent l'horizon.
Puis j'ai pris place sur la chaise qui porte les deux coussins bleus sur lesquels tu fus assise
Je voulais trouver des proses qui parlent d'Aubrac et des Causses et des chevaux qui s'y promènent.
Du grand lac brumeux de Laval au fond des gorges de la Truyère, que je voulais te montrer sous le bramement du vieux cerf quand reviennent ses échos qui font frissonner les pêcheurs.
Des rues fantômes de la ville, où courent toutes les rumeurs depuis que tu es partie, et du ciel gris qui recouvre les regards voilés aux fenêtres, qui te remplacent par chaque femme qui me salue, et que je croise en te cherchant.
Je voulais peindre à l’huile fine, les mots de couleurs magiques qui conserveraient jusqu’à toi, les lumières vives du soleil.
Je voulais les enfermer sous le cachet rouge de ma lettre, mais je n'ai pas pu te décrire ces paysages et ces mouvements.
Sur la feuille où je les posais, les mots n'ont pas obéi. Ils se sont donné la main et ont formé d'étranges phrases.
Ils ont espionné mes pensées pour déceler ce que je pense et te l'écrire à mon insu.
Ils prirent des chemins interdits pour voler la clef de mon coeur et lire ce qui s'y trouvait.
Croyant tromper ma vigilance ils tentèrent alors de t'écrire tout ce qu'ils venaient d'apprendre.
Redoutant mes yeux agiles ils se déplacèrent en ronde pour rédiger des paragraphes.
Ils voulaient que tu les lises, mais j’aurais vaincu Achille pour les empêcher d'agir.
Antirationnels et libres, les mots ne savent pas ce qu’ils font à répéter ces choses-là.
Nous fîmes alors ce compromis de ne te donner à savoir que les mots savent des secrets.
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