01 avril 2010

Le Petit Prince indien


Je ne savais rien d'elle avant d'entrer dans cette salle.

Je suis arrivé alors que l’audience avait commencé. Debout à l’arrière du tribunal dans cette grande pièce en partie remplie d’avocats, ce qui ne m’échappait pas c’est que la "junior judge" avait les yeux imprégnés d’une tristesse réelle comme la jeune avocate juste devant moi qui se retournait parfois comme pour détourner les yeux. Il y avait très peu de femmes mais elles semblaient toutes hautement concernées.

Je passais devant la salle d’audience lorsque cette atmosphère étrange et inhabituelle pour une cour indienne m’attira comme un aimant. Le public écoutait silencieusement. Seul un enfant de trois ou quatre ans, jouant avec un petit bout de papier qu’il faisait glisser sur le sol, faisait un léger bruit continu. Il était avec sa maman au fond de la salle au banc des accusés avec six autres personnes, adultes et jeunes. Leur visage était grave. Ils semblaient unis par un lien barbare qu'une loi étrangère avait gravé dans leur sang. La maman était inquiète du bruit que faisait son fils et me regarda peureuse. J'étais appuyé sur la barrière de leur prison ouverte. Je lui souris gentiment pour lui faire comprendre que cela ne dérangeait personne. Ce fut comme un jour d'orage, lorsque la lumière perce un instant le ciel obscur. Sur son visage marqué d'un terrifiant sceau pointa un sourire apaisant interrompant un court instant le son des voix accusateurs de sa conscience insomniaque !

"with that pain we live, with that pain we die" chante Lata Mangeshkar


Le témoin un homme de 40 ans achevait de témoigner par ces mots :


- Non ! C’est la première fois que je témoigne de ça, les policiers ne m’ont pas demandé de témoigner pendant l’enquête !

Ce sont les travers de cette procédure accusatoire où les avocats ont l'obligation de fournir toutes les preuves de l'infraction commise, de rechercher les témoins, de mener une vraie enquête avec l'aide des familles souvent pauvres.


Je suis enfin dans l'histoire au présent et l’huissier appelle à la barre un autre témoin, une belle femme de 60 ans vêtue de son sari, la tête couverte d’un voile. Elle répond à l’avocat d’une voix sûre et décrit par le menu en marathi ce qu’elle avait vu ce jour-là. Le juge reprend sa dictée pour le greffier après chaque affirmation dans un anglais clair, simple et précis comme pour me faciliter les choses.


Le senior judge Hiwirete martèle chaque mot :


- Je suis passée devant la maison de Djina et la porte était close de l’extérieur, j’ai appelé et personne n’a répondu.


- Pourtant je savais que Djina devait être chez elle.


J’aurais aimé avoir été là au début de l’audience connaître l’acte d’accusation et comprendre la raison d’un tel silence dans la salle. La femme décrit le paysage dans lequel elle marche à la rencontre de son amie. Je m'évade dans ses propos en marathi à travers champs et rivières avec pour seul guide la musique ronde de la langue. J'imagine ce village et ses temples aux couleurs vives, les écoles résonnant de la voix des enfants, et quelques fermes éloignées où d'anciennes maisons en terre cuite longues et basses protègent de leur ombre quelques vaches amaigries et des chèvres noires et blanches.

Mais ce que je ressens soudainement c'est que le silence c'est fait plus pesant et ce que mes yeux voient nettement c'est que tous me regardent. Le village a disparu de mes pensées car à cet instant précis c'est de moi dont il s'agit curieusement. J'avais décidé inconscienmment de faire les chemins de traverse d'aller voir par moi-même la scène de l'infraction par la transmutation et le juge en avait décidé autrement. il s'adressait à moi :


- Vous êtes l’avocat français ? Pourquoi vous a-t-on laissé debout ? Venez devant si vous voulez comprendre comment ça fonctionne ne restez pas au fond ! Asseyez-vous aux côtés des avocats de l’accusation et de la défense. Venez ! Je sentis peser sur moi le poids lourd du regard de mes confrères que je ne cherchais pas à décrypter.


Il ne me laissait pas le choix et j’avais le sentiment désagréable d’avoir par ma présence dérangé trop longtemps déjà le procès dont je n’étais et ne devais être ni le héro, ni la victime, ni l’accusé. Je me suis avancé pour m’assoir à une place libérée par un jeune avocat sans aller jusqu’à celle que m’indiquait le magistrat et qui ne pouvait en aucun cas être la mienne.


- Merci votre honneur ! Me suis-je contenté de dire en m’asseyant rapidement.


La femme poursuivait :


- En arrivant au village j’ai demandé aux voisins qui m’ont dit que Djina était dans la maison avec des membres de sa belle-famille.


- Je suis repartie vers la maison de Djina et la porte était ouverte. Je suis entrée et j’ai vu son corps baignant dans une mare de sang


- A plusieurs reprises elle m’avait dit que son mari et sa belle-famille la harcelaient en exigeant d’elle qu’elle demande à ses parents 4 Lakhs de roupies (400 000 roupies soit 6 450 euros). Elle avait été brûlée plusieurs fois pour la conduire à s’exécuter. Mais ses parents ne pouvaient pas payer la dot.


- Djina n’en pouvait plus des actes de cruauté qu’elle subissait et elle a fini par se suicider.


- Avez-vous témoigné de cela devant la police interrogea l’avocat ?


- Non ! C’est la première fois que je témoigne de ça, les policiers ne m’ont pas demandé de témoigner pendant l’enquête ! répondit le témoin.


Le procès se poursuivra samedi à partir de 11 heures.

En attendant, je songe à la dot encore actuelle et forte malgré son interdiction par la loi. Je regarde la "junior judge" aux yeux tristes, je songe à N…à M, X Y, Z.

Je songe à la surdité des parents aux oreilles brisées par les bruits de la tradition, à leur aveuglement les yeux obscurcis par l'éclat de leur propre image. Je les aperçois misérables et perdus cherchant seuls dans une nuit millénaire le long chemin qui conduit à voir avec le coeur ce que les yeux ne peuvent voir !


Je songe à cette jeune femme partie au lointain pays. Je sais un peu plus d'elle maintenant et je la vois belle et riche de tant de choses.

En quittant le tribunal, je lui dessine une autre vie !

4 Comments:

At 11:54 PM, Anonymous Isa said...

en effet pas drôle la vie de la femme en Inde; la pauvreté et l'ignorance est son ennemi

 
At 7:20 PM, Blogger Joël YOYOTTE-LANDRY said...

Il y a aussi des "love marriage" et des femmes heureuses. Des enfants qui grandissent avertis des musiques du monde et qui participent aux évolutions des familles découvrant unies le tournoi de cricket, le "Danse india danse", la visite des champs-Elysées ou les études à la fac de Cambridge. Cependant force est de constater que si tout est encore difficile en Inde pour le plus grand nombre hommes ou femmes, pour ces dernières l'histoire est encore trop fréquente d'une femme indienne aux mains de ceux qui voient en elle de l'argent vite et facilement gagné. Mais au fait, puisqu'il y a 980 filles pour 1000 garçons en Inde pourquoi dans ces "arranged marriage" n'est-ce pas l'homme ou sa famille qui paie pour épouser une femme ? Les femmes ne devraient avoir que l'embarras du choix !

 
At 9:35 PM, Anonymous Anonyme said...

Vous ne nous avez pas totalement abandoné nous peits élèves de lozère et je parle au nom de beaucoup d'entre nous, vous nous faites voyager a travers vos photos, réfléchir a travers votre blog, revenez nous raconter toutes vos histoires..

 
At 1:45 PM, Blogger Joël YOYOTTE-LANDRY said...

^^ Merci pour ce court commentaire qui me fait vraiment plaisir. Les 8 mois passés ici furent intenses et les histoires à raconter interminables...Ces dernières semaines je n'ai pas eu le temps de beaucoup écrire sur le blog malheureusement.

 

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